Paris, le 20 août 2019
Madame, Monsieur,
Avant de vous donner l’interprétation que je fais de l’inscription du rocher de Plougastel, je crois utile et nécessaire de vous livrer le point de départ de ma réflexion. Il s’agit d‘abord de comprendre les motivations d’une telle « déclaration » gravée dans la pierre. En effet, la « fonction » de cette inscription est je crois centrale dans la démarche à mener pour la comprendre.
Le point de départ, c’est aussi un livre. Le Dictionnaire illustré de mythologie Basque (JM Barandiaran). En le feuilletant avec ma fille, j’ai repéré sur des photos de vieilles pierres tombales (3 premiers documents joints) le fameux sigle du cœur surmonté de la croix. J’y ai également repéré ce signe ressemblant étrangement à une aile après le mot « EKGE ». Quant aux lettres, certaines sont associées de façon énigmatique comme sur le rocher de Plougastel. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. M’est alors venue l’image d‘un graveur de pierre Basque, survivant d’un naufrage ou témoin d’un accident et désireux par cet « acte de mémoire » de rendre hommage aux compagnons de route disparus. S’il avait été question de rendre hommage, on ne s’y serait, je pense, pas pris autrement. Seule la pierre, et donc l’épitaphe, survit aux méfaits du temps.
Il me restait à chercher dans les consonances, des indices corroborant cette intuition. En recherchant notamment des particules phonétiques élémentaires. Je me suis appuyé sur le projet Babel (site en ligne élaboré par Michel Morvan, éminent linguiste spécialisé dans les origines de la langue Basque), j’ai me semble-t-il trouvé des sons et des ensembles phonétiques qui pourraient corroborer mes intuitions premières. D’autant que s’agissant d’une langue agglutinante, elle relève de la construction de pièces élémentaires un peu comme pour un assemblage de lego. Même si je précise que je ne parle pas le Basque.
J’ajoute que je ne suis pas linguiste, mais passionné par ces mystères qui traversent les âges et désireux de rendre justice peut-être à travers ma contribution (même parcellaire) à la volonté de cet homme de graver son acte de mémoire dans la pierre.
J’ai donc l’espoir que mon intuition saura mettre sur le bon chemin des hommes et des femmes dont c’est le métier de traduire des langues anciennes (le Basque en particulier) aux fins de confirmer ou rapporter de façon plus précise la quintessence du message de ce rocher.
GROCAR DREAR DIOZEEVBIO
ARUR(F ou I)ONEZLA(TX)E(N ou IU)EL
Gur = Révérence
Oka = Hauteur / montagne
Ar = Homme
Eraidi = Eriger
Dio = Affirmer. Je dis.
Otz = Froid
Ebi = Pluie
Ohar = Attention au sens de prêter attention d’être attentif
Arun = sentier rocailleux
Arur = Ecoulement
Urfe = source
Uri = Pluie
On = bon
Lats = mouillé / humide
Je propose l’interprétation suivante pour ce premier bloc de texte :
J’attire votre attention sur la révérence érigée dans le froid et la pluie sur un sentier rocailleux humide et j’affirme…
PEN ABENENEZ(TX)18ZE
Pena = peine
Aba = pieu / père
Ene = moi
Enea = massette
Aben(da) = race humaine (de Aba = père et Enda = famille)
Cela peut contenir l’idée suivante :
… avec peine qu’au nom du père de la famille des Hommes…
GEN BI CENG EKGE (+ signe vers la droite)
Gen = ici
Bi = 2
Ou Bizi = Vie
Ceng. Peut-être de Zen = il était (au sens de il n’est plus) / Zendu = défunt
Ekge peut être une abréviation de EKIGAIN (de EKI = Soleil et GAIN = haut). Ce qui désignerait l’orientation de la pierre, soit vers le midi en haut, soit vers l’Est, là où le soleil se lève (en Basque l’Est se dit EKIALDE = du côté du soleil). Cela collerait aussi avec cette « aile » orientée comme celle de la croix basque vers l’Est. C’est évidemment à vérifier.
Mais cela pourrait donner en résumé :
…Ici se trouvent 2 défunts (confiés au soleil)...
AZOMOAR(TX)PA..CDOFET DAROA
AZ = pierre
OMAIA = hommage (peut-être au sens d’épitaphe)
FET = peut être assimilé à FEDE (qui signifie foi)
DAROAT = en Basque signifie « je le mène. Je l‘emporte »
Cela pourrait vouloir dire :
… au nom de la foi je rends hommage sur la pierre…
AIELACHEODCET DA AOMA
AIALDEKO = compagnon
DA AOMA (se rapproche de DA HEMEN inscription courante sur les tombes basques qui signifie ici présents / ci-gît)
Ce qui pourrait donner en substance :
… A mes compagnons ici présents :
(J)ULESELDA REIDI MEVZMEZ
Partie la plus compliquée.
Déjà la première lettre… Est-ce un r ou un J ? Je penche pour le J.
Ule = Comprendre
Erdi = moitié
Idi = Boeuf
Alde = Du côté de
Mais il est compliqué d’en déduire une quelconque phrase cohérente. C’est pourquoi j’imagine que phonétiquement le Graveur note ici les noms et prénoms du ou des compagnons auxquels il rend hommage…
Je pars aussi du principe qu’en raison de cette difficulté à traduire ce morceau, en raison de ce qui le précède (A mon / mes compagnons ici présents) et en raison de ce que je vois pour premier mot comme un prénom (Jules), j’en ai déduit qu’une identité ou plusieurs s’y faisaient jour :
JULES ELDAR EIDI MEUSMES
ARPRIGILOD 17(cœur-croix)87 EROIAL
HARPE . ARP = abri sous roche / grotte
Erig = debout. Peut avoir le sens d’édifier (Eraiki. Eraikin)
ILOTZ = cadavre de (HIL et OTZ froid)
EROIAL = peut venir du verne EROKI signifiant contenir ou ERORKI signifiant part d’héritage.
Ce qui peut vouloir dire :
Mis sous roche les corps sans vie en l’an 1787 (avec le signe croix sur cœur qu’on retrouve sur les pierres tombales basques).
Peut-on en déduire aussi que sous cette roche après un éboulement se trouveraient des restes ? des ossements ? Je crois plus à une stèle commémorative en mémoire d’une ou de personnes disparues lors d’un naufrage.
OBIIEBRISVILA
OBI (sépulture)
BRISBUILA. Peut venir de Biribil = ronde. Cela pourrait désigner une pierre de forme ronde ?
Cela peut venir aussi de la conjonction de BIRI (poumon), BUHA (souffle) ou BULTZA (impulsion. Elan) et HILA (mort) > BIRI BUHA HILA devenant « BRISBUILA ».
Peut-on en déduire une phrase comme :
Une sépulture pour redonner un souffle de vie aux morts…
ALUOAKBORSIV.T
ALAUA = Mon Dieu !
BORTZ = 5. Mais évoque aussi la main (les 5 doigts de la main).
BORTITZ = Fort vigoureux.
BORTZA = Violence
Une ligne qui semble continuer la phrase ainsi :
… Par la main de Dieu…
OSCAR CLOIVE PRE ZT
(V)ZONREZE
VA(IZ ou R)
DARANDOL
OSCAR peut être le prénom d‘une victime.
Mais OZCAR en Basque signifie : tonnerre / fracas / tumulte.
J’ajoute que phonétiquement on se rapproche de EUSKARA (Langue Basque)… Mais je pense qu’il n’y pas de lien ici.
Lohi = boue
Ipar = Nord
Pare = Egal
Uzen (id. Izen) = nom
Ez = Non.
Ezer = Rien
Uhaitz = Torrent (vient de Eguatxa)
Aradol = Grosse branche ou corne
Ou possiblement dérivé de ARAN = Vallée (avec variante Arandel, arandol)
D’après les éléments qui ressortent phonétiquement on pourrait imaginer la poursuite d’une l’épitaphe racontant la fonction de cette pierre :
…Qui fait retentir le tonnerre pour que ces noms ne soient pas emportés comme la branche par le torrent.
ADREIRIG
Ad = Salutation / Au Revoir. Vient de la racine AD qu’on retrouve dans l’occitan Adishatz, le Bourbonnais Adi, le Basque Adio, le français Adieu…
Erig = Debout, Droit.
Peut se comprendre comme Fier ou Vivant, en opposition à la position couchée.
On peut en déduire une fin de message indiquant
Au revoir de la part celui qui est resté debout / vivant.
1786 NEIZ
Noiz = Quand (est-ce à préciser quand l’inscription a commencé ?)
Niketz = de ma part.
Serait-ce une contraction de Niketz pour personnaliser à la première personne la dédicace ?
On peut aussi imaginer que Neiz est un nom. Le nom du graveur ?
Je n’ai pas d’explication claire sur cette dernière ligne mais je pencherais pour la référence temporelle :
C’est en 1786 que c’est arrivé (intégrant la fonction du fameux « Quand », sous-entendu c’est en 1787 que la stèle commémorative a été réalisée / gravée, donc un an plus tard…
Pour résumer ma pensée après cette recherche qui fut passionnante pour moi et ma grande fille de 9 ans (qui a participé aux recherches et déductions), j’ai le sentiment d’avoir sous les yeux un hommage à un ou des proches disparus (dans un naufrage ou à cet endroit) a priori écrit dans une seule langue, le Basque. Je me suis référé essentiellement au www.projetbabel.org de Michel Morvan pour toutes les traductions proposées ici ainsi qu’à quelques dictionnaires dont le Parlons Euskara de Txomin Peillen édité chez L’harmattan.
Je précise ici qu’intuitivement il ne semble y avoir qu’une main pour avoir gravé le texte, donc une pensée, une volonté et une langue. Et cette volonté est nécessairement de laisser une trace, de commémorer... Dès lors, aucune raison de penser que l’auteur aurait voulu tromper son monde, faire le malin, brouiller les pistes ou chercher à « coder » son message. Ca n’a aucun sens.
S’il était peu éduqué (exécutant souvent dans son métier sur commande avec modèles sous les yeux), s’il n’avait que l’oralité et la référence phonétique pour se faire comprendre alors il ne s’y serait pas pris autrement. Avec parfois des hésitations des petites inexactitudes mais toujours phonétiquement juste. C’est ainsi je trouve que cette volonté gravée de « ne pas oublier »me semble la plus cohérente et la plus romanesque par ailleurs. Reprenant les éléments de déduction mis bout à bout, voici humblement ce que donnerait le texte dans son intégralité :
J’attire votre attention sur la révérence érigée dans le froid et la pluie sur un sentier rocailleux humide et j’affirme avec peine qu’au nom du père de la famille des Hommes, ici se trouvent 2 défunts (confiés au soleil). Animé par la foi, je rends hommage sur la pierre à mes compagnons ici présents
« (J)ULES ELDAR EIDI MEUZMEZ »
Mis sous roche les corps sans vie en l’an 1787.
Sépulture pour redonner un souffle de vie aux morts par la main de Dieu qui fait entendre le tonnerre pour que ces noms ne soient pas emportés comme la branche par le torrent.
Au revoir de celui qui est resté vivant.
C’est en 1786 que c’est arrivé.
Je ne suis pas linguiste et j’adorerais que des hommes et des femmes dont c’est la profession prennent au sérieux cette piste de réflexion et viennent compléter la présente démarche.
Bon dépouillage, bonnes réflexions, bonnes conclusions. En espérant qu’un peu de cette contribution aidera à résoudre votre mystère.
Bien cordialement,
Romain
NB – Toutes références et propositions de traductions jointes (également disponibles sur www.projetbabel.org).